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6 mars 2012

Marine Le Pen valse à Vienne : bal néo-nazi ou "seulement" d'extrême droite ?

 

Depuis quelques jours, les articles se multiplient sur la participation de Marine Le Pen à un bal des corporations estudiantines à Vienne, dont certaines sont présentées dans la presse comme proches de néo-nazis, "interdites aux juifs et aux femmes". Au cours de son voyage, elle a rencontré Heinz-Christian Strache, chef du Parti de la liberté, extrême-droite autrichienne, (FPÖ), et Martin Graf, vice président du parlement autrichien depuis 2008, idéologue et membre du FPÖ. Mais c'est surtout sa participation au bal qui a retenu l'attention. Politiques et commentateurs ont dénoncé "le vrai visage" qu'a montré à cette occasion Marine Le Pen. SOS racisme a dénoncé un «bal immonde pour nostalgiques du IIIe Reich».

Que sait-on précisément sur ces corporations qui ont organisé le bal ? Peut-on les qualifier de néo-nazis? Ou bien de nationalistes et ultraconservatrices ? Comment la venue de Marine Le Pen a –t-elle été médiatisée ?

"En ce moment, nous assistons à une rediabolisation du FN" a estimé l'éditorialiste politique Thomas Legrand jeudi matin dans sa chronique consacrée au bal auquel a participé Marine Le Pen. Parlant même de "bal des nazilllons de Vienne" dans lequel Le Pen a été entraînée par son père, qui y participait depuis de nombreuses années. Sur RTL, Jean-Michel Aphatie a également interviewé Marine Le Pen sur le sujet. Il lui demande pourquoi elle a participé à ce bal, alors qu'elle ne se définit pas comme faisant partie de l'extrême droite :

Marine Le Pen a répondu plusieurs fois à la presse sur le sujet ces derniers jours, avec des arguments quelque peu différents. Sur BFM, elle lance : "les Français savent pertinemment qui je suis, ce que je défends" et s'estime victime d'une "campagne de diffamation". Même ton dans un communiqué à l'AFP, le 1er février (dont la dépêche est publiée ici sur le site de Libé), s'estimant victime d'une "polémique montée de toutes pièces".

Dans un précédent communiqué, le 27 janvier, envoyé à la suite de la publication d'un article de l'Express, qui révélait sa participation à ce bal, elle tentait de présenter ce bal comme "traditionnel": "Contrairement à plusieurs informations fantaisistes, Marine Le Pen a été invitée à un des plus célèbres et des plus traditionnels bals de Vienne. Les élucubrations répandues par certains médias relèvent de la diffamation pure et simple et se font le relais de l’extrême gauche autrichienne qui depuis des années cherche à faire interdire tous les bals viennois, symboles à leurs yeux du respect des traditions autrichiennes. Participent à ce bal des personnalités et des élus de toutes origines. Des journalistes seront d’ailleurs présents à cette soirée mondialement connue."

Qu'en est-il ? Est-ce seulement un bal traditionnel viennois ? Est-il néo-nazi comme le disent plusieurs journaux? Le journaliste Blaise Gauquelin, correspondant à Vienne notamment pour Libé et l'Express est le premier à avoir évoqué la participation de Marine Le Pen à ce bal dans cet article, publié dès le vendredi après midi sur le site de l'Express. Il raconte à @si qu'il a été informé "par une indiscrétion d'un diplomate", l'information lui a ensuite été confirmée par le staff de Martin Graf, vice-président du parlement autrichien, membre du parti d'extrême-droite FPÖ.

Marine Le Pen, de son côté, n'avait pas caché sa participation à un bal, mais sans davantage de précisions : "Marine Le Pen se rendra au bal du palais impérial du Hofburg, à l'invitation de Heinz-Christian Strache, président du FPOe", peut-on lire sur le communiqué de presse. Selon Gauquelin, Le Pen espérait qu'aucun journaliste n'enquête davantage pour savoir de quel bal il s'agissait. Elle "savait pertinemment où elle mettait les pieds", estime-t-il, et voulait "donner des gages aux plus durs du FN", tout en espérant que cette venue ne se sache pas trop. Mais lui-même avait déjà enquêté sur les corporations étudiantes pour cet article.

On est bien loin d'un bal traditionnel viennois, estime Gauquelin, qui n'h'ésite pas à employer le terme de "néo-nazis" dans plusieurs de ses articles. Sur l'Express, il précise que Martin Graff, avec qui a valsé Marine le Pen, est "membre d'Olympia, une "Burschenschaft", corporation secrète interdite aux juifs et aux femmes dont les membres sont chargés de véhiculer dans la société, par des biais détournés, des idées néonazies, pangermanistes, antisémites et négationnistes." Il ajoute : "Ils pratiquent le duel au sabre dans les caves des beaux quartiers de Vienne et se reconnaissent entre eux à la balafre qu'ils se doivent d'exhiber sur une joue."

Il précise aussi à @si que les journalistes n'ont pas eu l'autorisation d'assister à ce bal. Il a essayé d'y entrer en tant que journaliste, on lui a alors dit d'acheter sa place. Et lorsqu'il a voulu acheter sa place, on l'a refusé au motif qu'il était journaliste. "Cent vingt journalistes avaient demandé une accréditation, mais seule l'agence de presse Austria Presse Agenture a été autorisée à entrer", relève pour sa part Médiapart. Un journaliste du quotidien autrichien Der Standart a pu toutefois y entrer en achetant sa place et a réalisé ce reportage.

Dans un article de Libé, ce lundi, il précise que les organisateurs du bal sont "clairement" des "néonazis, antisémites et racistes".

Dans ce même article, il donne des éléments permettant de montrer le caractère antisémite de ces organisations : "Par le passé, des figures de proue du négationnisme, comme John Gudenus, condamné en 2006, ont été ostensiblement applaudies au WKR-Ball (NDLR, nom allemand du bal). "Irmfried Eberl, commandant du camp d’extermination nazi de Treblinka (Pologne), demeurait en 2009 membre posthume de Germania, une corporation d’Innsbruck. Et Rudolf Hess, l’une des personnalités majeures du IIIe Reich, a même été proposé en 1987 par la fédération des Burschenschaften pour le prix Nobel de la paix !".

Dans le Monde, aussi, on emploie le terme de néo-nazi: "Olympia est considérée comme proche du néonazisme, mais a su conquérir des positions influentes : par exemple celle occupée par Martin Graf, troisième vice-président du Parlement autrichien, où il a reçu vendredi la délégation du FN", écrit la journaliste Joelle Stolz. Quant aux autres corporations co-organisatrices de l'événement, elles "cultivent une germanité mythique", précise la journaliste.

Plusieurs associations, SOS racisme, le Mrap et l'Union des étudiants juifs de France ont dénoncé la participation de Marine Le Pen à ce bal, reprenant les éléments présentés par Gauquelin dans son article : "Le groupe Olympia dont il est l'un des idéologues est une corporation secrète, interdite aux juifs et aux femmes, dont les membres ont pour mission de véhiculer des idées néonazies". De son côté, le Mrap évoque également la "tradition néonazie, antisémite et négationniste" d'Olympia. Bernard- Henri Lévy a réagi également sur son blog La règle du jeu, estimant que Marine Le Pen venait peut-être "de ruiner ses chances d'être au second tour" de la présidentielle en s'affichant à un bal de l'extrême-droite en Autriche "avec des antisémites avérés". "Comment a-t-elle pu prendre le risque d’aller valser dans le seul des bals viennois interdit, de fait, aux juifs et aux journalistes ? Comment, pourquoi, s’est-elle ainsi exposée aux côtés des militants d’Olympia, l’une des plus dures, des plus extrémistes, des plus ouvertement «néo» de ces Burschenschaften et qui était à l’origine de l’invitation ?", ajoute-t-il.

"LA Réalité historique des fraternités autrichiennes"

La presse et les commentateurs se sont-ils emballés, ont-ils caricaturé le WKR-Ball, comme le dit Marine Le Pen? Nous avons contacté le spécialiste de l'extrême droite européenne, Jean-Yves Camus. Celui-ci ne critique pas la manière dont la presse a traité de ce bal, mais estime toutefois que certains médias semblent "méconnaitre la réalité historique des fraternités autrichiennes", "partie intégrante de la vie sociale autrichienne depuis le début du XIXe siècle, qui ont servi à former toute l'élite acquise aux idées nationalistes". Notamment ce qu'elles représentent socialement : "un passage quasiment obligé pour des étudiants qui veulent réussir leur carrière". Les corporations étudiantes sont loin d'être des groupuscules secrets, ajoute-t-il. Elles ont au contraire pignon sur rue. Ainsi le bal s'est-il déroulé dans l'ancien palais impérial, qui abrite le siège de la présidence, toute une aile du bâtiment étant louée pour des conférences ou des réceptions. Camus réfute aussi le caractère "secret" des organisation. Olympia a un site internet, précise-t-il.

Qui sont précisément les organisateurs de ce bal? "C'est un événement annuel depuis 1952, explique Camus. Il est organisé par un ensemble de corporations "allant de la droite nationale à des corporations proches de la politique incarnée par le FPÖ". Ces fraternités organisatrices de l'événement sont donc un peu plus "plurielles" que ce que laissent entendre les articles français, soulignant essentiellement le caractère sulfureux d'Olympia. Néanmoins, il est indéniable que Marine le Pen a bien été accompagnée et invitée par Martin Graf, membre précisément d'Olympia. Une corporation "antisémite" pour Camus, qui précise qu'elle entretient des liens étroits avec le négationiste David Irving, invité plusieurs fois par Olympia (pas forcément dans ce bal). "L'existence de ce bal et de ce type de corporation pose la question du rapport de l'Autriche avec son passé nazi", ajoute-t-il. "En Allemagne, il serait impossible de donner ce type de bal."

Peut-on dire que la corporation est "interdite aux Juifs et aux femmes" ? "Ce n'est pas écrit noir sur blanc, précise-t-il, d'autant que cela serait interdit par la législation européenne. Mais ces corporations "fonctionnent pas cooptation", "il va de soi qu'ils ne sont pas les bienvenus." Certains juifs, eux-mêmes nationalistes, ont pu en faire partie avant la Shoah, précise-t-il encore. Y en a -t-il encore maintenant ? "Difficile de le savoir", répond-il. Quant aux femmes, c'est un fait que ces fraternités sont "masculines" dans leurs statuts, et qu'elles n'acceptent pas les femmes.

Pour Camus, Marine le Pen ne connaissait pas forcément la réalité de ces corporations. Elle est venue, avant tout, en tant que candidate à la présidentielle française, "pour rencontrer les dirigeants du FPO", "un parti crédité de 28% d'intention de vote, qui a déjà gouverné, et qui est amené à gouverner à nouveau." Elle a rencontré ainsi Heinz-Christian Strache, chef du Parti de la liberté (FPÖ), qui affiche son ambition de devenir chancelier d'Autriche, et Martin Graf, vice-président du parlement autrichien.C'est peut-être sur cette rencontre avec le parti d'extrême droite autrichien que la presse aurait pu davantage s'attarder. Pour Camus, la vraie question, qu'aurait dû se poser la presse, ce n'est pas si les corporations étudiantes sont antisémites ou néo-nazis, mais plutôt "pourquoi le FPÖ, dont les premiers dirigeants étaient d'anciens nazis, est maintenant accepté par une coalition politique en Autriche". Et contrairement à ce que dit Marine Le Pen chez Aphatie, "tous les politologues sont unamimes sur le FPO : c'est un parti d'extrême-droite", explique-t-il. Mais contrairement à Olympia, "il doit faire attention à ce qu'il dit et à son image" pour être susceptible d'être élu. Un peu comme...le Front national.

 

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